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Terrorisme, sécurité, le piège des idées trop simples (tribune)


Le 13 novembre 2015 dernier, des attentats terroristes d’une violence difficilement supportable frappaient notre pays.

 

Dans une actualité d’abord marquée par l’effroi, l’émotion, le soutien aux victimes ainsi qu’à leurs familles, et la colère parfois aussi… puis par les discours, les débats, l’esquisse de mesures politiques, et la traque des coupables et de leurs complices, nous avons été nombreux à émettre le souhait de nous retrouver, et de parler, ensemble, de ces évènements, de ce que nous pouvions en percevoir en termes de causes, et de leurs conséquences pour notre avenir.

 

Jeunes Démocrates de Gironde, nous nous sommes réunis le jeudi 26 novembre 2015 à Bordeaux pour un échange à bâtons rompus, un « Débat Libre », sans orateur, sans invité de marque venu délivrer un savoir « tout fait »… seulement des citoyens, ignorants, peut-être, des arcanes de la géopolitique proche et moyen-orientale actuelle, et qui ne détiennent probablement pas encore le remède à la radicalisation de certains de leurs jeunes contemporains… mais qui, pour autant, convaincus que l’on pense mieux ensemble que tout seul, se sont attachés à remettre un peu d’ordre dans le chaos des idées et des questions né de ces événements tragiques et révoltants.


La haine n’explique pas tout

Nous nous sommes interrogés très rapidement sur les raisons de ces attentats. La question « Pourquoi ? », règne souvent après les drames. Nous avons d’abord cru que la haine suffisait à tout expliquer… mais en fait, le motif de haine n’explique pas tout.

La haine peut être un puissant moteur de mal-agir pour des individus, mais croire qu’il en soit de même pour des stratèges guerriers ou des leaders « politiques », c’est courir le risque, selon nous, de sous-estimer nos adversaires, et ce faisant, de leur ouvrir une voie vers la victoire.

La haine est un outil de manipulation des foules, et le moteur des fanatiques. La haine de l’autre, des différences avérées ou fantasmées, superficielles ou profondes, est forcément une racine des attentats perpétrés par DAESH ou leurs frères ennemis d’AQMI, pour ne citer qu’eux. Pour autant, nous devons avoir l’intelligence de voir au-delà des vociférations des prédicateurs, et de rester conscients des objectifs premiers des dirigeants de ces organisations. Ainsi, nous pourrons mieux percevoir leurs faiblesses, et nous aurons plus de chances de les vaincre.

Nous restons convaincus que les motivations premières de DAESH sont bien plus locales qu’internationales ou simplement idéologiques. DAESH est engagée dans une campagne de conquête armée d’un territoire principalement situé dans les limites de l’Iraq et de la Syrie. Nous concédons que si leur domination sur ces « territoires » venait à être assurée, si leurs frontières venait à en être stabilisée par notre renoncement ou leur victoire, nul doute qu’ils se mettraient à lorgner plus loin. Mais dans tous les cas, nous ne devons pas nous laisser prendre au piège de croire que le fait de porter la violence dans nos contrées soit leur finalité immédiate : ce n’est qu’un outil – hasardeux et cynique – au service de leur renforcement militaire et politique sur place. La guerre, quelle que soit sa forme, n’est jamais qu’un outil au service de certaines « politiques » !


Mais alors, pourquoi ?! 

Pourquoi avoir, ces dernières années, pris pour cible les ressortissants de si nombreux pays étranger ? Pourquoi les avoir fait exécuter et avoir diffusé les exécutions à destination du monde entier ? Pourquoi avoir, si loin des rives du Tigre et de l’Euphrates, fait agir des « loups solitaires » et des cellules de kamikazes, dans nos villes ?

Quel intérêt stratégique ou politique recherchent-ils en venant nous provoquer, au risque de dresser contre eux une bonne part des plus puissantes armées régulières du monde ?

 

Nous avançons deux hypothèses : la première c’est que DAESH a besoin de recruter, et d’agréger de nouveaux individus pour soutenir sa conquête. La seconde, c’est que DAESH, pour mettre le plus de freins à de possibles insurrections (au cas où la peur des armes et des représailles barbares ne suffisait plus), a probablement besoin de présenter aux populations qu’elle domine un ennemi à haïr plus encore qu’elle.

Aussi abjectes que puisse nous paraitre le projet de DAESH, ses actions, et sa rhétorique, nous ne pouvons pas faire abstraction du fait que des milliers de jeunes gens – hommes, mais également femmes – ont rejoint, avec ce qu’il faut d’enthousiasme et de libre arbitre, les rangs de cette horde barbare. Nous serions tout aussi fous d’imaginer que tous ces « combattants » proviennent uniquement des territoires occupés, ou qu’a contrario, ils viennent tous de pays extérieurs.

 

Nous ne devons pas oublier non plus que ce qui a précédé l’avènement de DAESH, en Syrie, ce sont les massacres perpétrés par les troupes de Bachar El Assad (on parle de 100 000 à 200 000 morts) contre son peuple Syrien. Et qu’en Iraq, c’est près d’une décennie de violences, d’abord la guerre, puis ensuite l’instabilité et l’insécurité pour les populations civiles. A combien s’élèvent donc les pertes civiles des innombrables attentats à la bombe qui ont été perpétrés entre la chute du dictateur et le retrait des troupes « occidentales » ? Autant de vies dont n’importe quel arrangeur de foules n’aurait aucun mal à affirmer que nous avons provoqué leur insécurité, pour nous montrer ensuite incapables de les protéger. Nous ne pouvons pas éluder la question : la vie de la majorité des Iraquiens était-elle meilleure ou pire sous la botte de Saddam Hussein que dans les années de tumultes qui ont suivi sa chute, que nos alliés ont provoquée ? Nos alliés ont-ils assumé l’entière responsabilité de leurs actes après 2003 en Iraq ?

 

Des ennemis plus haïssables qu’eux, c’est ce dont DAESH a besoin pour s’assurer la participation des combattants qu’ils recrutent localement, et la coopération, ou tout du moins l’absence de révolte, des populations qu’ils contrôlent. Ils ont Bachar El Assad, parfait pour le rôle, mais ça ne s’applique qu’à la Syrie. …et puis ils nous ont nous, pour l’Iraq. Ils nous présentent comme des envahisseurs de l’Iraq (les croisés, disent-ils, faisant ainsi référence à quelques épisodes sanglants de l’histoire que l’occident partage avec le moyen orient…) …et au fond, qu’avons-nous apporté d’autre à ce pays ces dix dernières années ? …ni la paix, ni la prospérité, et peut-on décemment parler de plus de libertés, en face de tant d’insécurité ?

 

Bachar El Assad d’un côté, nous de l’autre, comme il leur serait utile que nous joignions nos forces, quel qu’en soit le motif.


Le Piège d’un compromis avec Bachar El Assad 

C’est l’un des pièges qui nous est tendu. Nous remémorant notre passé, nous arguons qu’il a bien fallu que les Alliés s’entendent un peu avec Staline pour venir à bout du IIIe Reich et de sa barbarie. …Mais c’est aussi oublier que plus de 40 ans de guerre froide ont succédé à la seconde guerre mondiale, et que Joseph Staline est tristement crédité de plus de morts qu’Adolf Hitler. A l’époque, les alliés n’auraient probablement pas pu faire tomber Staline, il n’en est absolument pas de même de notre puissance vis-à-vis d’El Assad. Nous allier avec cet homme et son régime, ce n’est pas « choisir la meilleure solution pour vaincre DAESH », par contre, c’est « nous entacher du sang de centaines de milliers de ses victimes ». …en tout cas, c’est ainsi que cela sera présenté par nos ennemis, et cela ne pourra que renforcer et légitimer la détermination de leurs « combattants » contre nous.


Le Piège d’un raidissement de nos sociétés

Le second piège qui nous est tendu, c’est celui du raidissement de nos sociétés, déjà marqués, à peu près partout en Europe, par la montée des nationalismes. C’est un fait, DAESH recrute parmi les jeunes français. …certains de ceux qui répandent aujourd’hui en son nom la terreur, l’horreur et le malheur, sont nos anciens camarades de cour de récréation ! Qu’avons-nous, Français, manqué ?! Comment en est-on arrivé là ?!

Ces quelques lignes ne permettraient certainement pas d’expliquer les détails du processus de radicalisation, mais il nous semble que quand un individu choisis la voie de la mort, c’est qu’il ne perçoit pas de voies ouvertes pour la vie. (ce qui ne signifie pas qu’elles n’existent pas, mais seulement qu’il ne parvient pas à les distinguer) Peut-on choisir de devenir bourreau puis martyr si en face s’ouvre une possibilité de fonder une famille heureuse, à l’abri du besoin, et respectée du voisinage ?

La violence est est un exutoire à la colère, à la peur, à la douleur, et à leurs formes plus subtiles que sont l’angoisse du lendemain et la désespérance, qu’elles se basent sur des réalités ou des ressentis intellectualisés, voire « magnifiés ». Pour autant, il n’y a aucune excuse à choisir la violence : quelle que grande que puisse être la souffrance d’un individu, il reste toujours responsable de la signification qu’il donnera a cette souffrance, il reste responsable de la manière dont il choisira de l’extérioriser, ou de la soigner.

Parmi les participants à notre discussion le 23 novembre dernier à la permanence du MoDem Gironde, se trouvait une jeune enseignante ayant exercé dans un quartier difficile de région parisienne quelques temps auparavant. Son témoignage était édifiant :

 »Les gamins en CM2 nous le disent : pour eux, l’avenir c’est la prison ou la rue,,

Bien sûr qu’en réalité, leur avenir peut emprunter d’autres voies que la prison ou la rue (ou le terrorisme), encore faudrait-il qu’ils en soient convaincus. …ce qui n’est pas chose aisée quand  » le grand frêre qui à BAC+5 n’arrive pas à trouver un travail « .

Une telle révélation, ne peut que s’avérer douloureuse. Pourtant, nous devons l’affronter en face, faute de quoi, la situation continuera d’empirer.

  • Aussi déplaisant que cela puisse être, nous devons d’abord accepter de reconnaitre que le problème de la radicalisation islamique touche une part ciblée de notre jeunesse, avec un double marqueur culturel et social.
  • …et nous ne devons pas non plus imaginer qu’ils soient les seules jeunes français à choisir la voie du durcissement des propos et des actes. …les autres choisissent juste d’autres « discours » plus en phase avec leur condition sociale ou leur culture, notamment l’extrême droite.


La tentation, en réaction à l’agression terroriste islamiste, de diriger notre hostilité contre une part ciblée de la population de France, c’est renforcer le sentiment d’exclusion, donc d’absence de voies à un avenir pacifique et honnête : c’est fabriquer pour DAESH de nouveaux combattants …c’est clairement un des pièges que nous tend DAESH : essayons d’être, collectivement, suffisamment intelligents pour ne pas y foncer tête baissée.


La conclusion de nos réflexions et de ces quelques lignes tiennent en quelques mots : nous devons nous méfier des idées trop simples et des jugements à l’emporte-pièce ! …et cela vaut aussi bien du sujet de la marginalisation d’une part de notre jeune génération en France que des aspects géostratégiques au Proche et au Moyen Orient, ou des moyens militaires, policiers et judiciaires de lutte contre le terrorisme.

Toutefois, plus que tout, nous devons avoir confiance en nous. Au lendemain du 13 novembre, des jeunes de banlieue ont manifesté leur rejet ferme et clair des agissements des terroristes, contrairement à ce que ç’aurait pu être il y a quelques décennies, on n’a pas assisté (ou presque pas) à des agissements de « vengeance » à l’encontre d’innocents sur la base de leur origine sociale ou culturelle proche de celle des terroristes. Deux raisons d’être fiers de nous, confiants en l’avenir, et déterminés à répondre justement et efficacement à nos ennemis.

Christophe Vasquez – Président des JDem33

Eric Ghaffar – Animateur régional des Jeunes Démocrates d’Aquitaine

Bastien Corsini – Délégué fédéral des Jdems 47

 

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