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Tribune: Déchéance de nationalité, et après?

 


 

Le 15 novembre dernier, à la suite des attentats de Paris, le président de la République, François Hollande, a annoncé au Parlement réuni en Congrès son intention d’inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution.

La situation actuelle :

Cette mesure est déjà prévue par le droit français. Les Français ayant acquis la nationalité française après leur naissance sont d’ores et déjà soumis à l’article 25 du Code civil :

« L’individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :

1° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;

2° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;

3° S’il est condamné pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;

4° S’il s’est livré au profit d’un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France. »

Cette possibilité n’est ouverte que pour des faits survenus antérieurement à l’acquisition de la nationalité et dans un délai de dix ans après leur réalisation.

L’article 23-7 du Code civil prévoit, quant à lui, la déchéance de nationalité pour tout Français, indépendamment de sa naissance : « Le Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d’Etat, avoir perdu la qualité de Français ». La formulation de cette disposition est très vague et suscite toujours de nombreuses interrogations.

Que contient la révision constitutionnelle ?

Le texte d’origine, soumis par le Conseil des Ministres le 23 décembre 2015, prévoie l’extension de l’article 25 du Code civil à tout binational né Français. Pour éviter que cette mesure ne soit censurée par le Conseil constitutionnel, il est nécessaire de l’inscrire dans le texte constitutionnel, à travers la modification de l’article 34 de la Constitution dans les termes suivants :

« – la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ».

Une loi ordinaire (facilement modifiable par n’importe quel Gouvernement à venir) préciserait ensuite la nature des crimes pouvant conduire à la déchéance de nationalité.

Suite aux premières discussions en Commission, le texte a été modifié comme suit :

« les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». Cette nouvelle formulation supprime toute référence explicite à une quelconque pluri-nationalité ; cela signifie que tout Français, qu’il ait ou non une autre nationalité pourrait subir cette mesure. En réalité, le texte prévoit une porte de sortie : soit la déchéance de nationalité, soit la perte des droits attachés à la nationalité. Cette dernière option ne constitue pas une déchéance de nationalité mais une perte des droits civiques : la personne resterait française mais ne pourrait pas exercer un certain nombre de droits attachés à la citoyenneté (le texte ne précise pas lesquels mais l’un des exemples les plus classiques pourrait être la privation du droit de vote).

La nature des agissements pouvant conduire à une telle mesure n’est pas encore clairement définie : la nouvelle version du texte inclut non seulement des crimes mais également des délits les plus graves. Il reviendra cependant au législateur ordinaire de définir la liste des crimes et délits visés : cela signifie que cette liste pourra être modifiée facilement par la majorité parlementaire du moment. Par ailleurs, il reviendra à cette même majorité de décider si le prononcé de la mesure doit être confié à un juge (dans le respect de la séparation des pouvoirs) ou à l’exécutif.

Une mesure symbolique, une arme redoutable ?

Tout le monde s’accord à dire – Conseil d’État inclus – que cette mesure ne sera pas une mesure de dissuasion efficace. Son impact sur la lutte contre le terroriste est minime. Du point de vue juridique, même la dernière version du texte – qui ne ferait aucune référence à la binationalité pose plusieurs difficultés :

  • la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie interdit la création par un État, à travers des modifications juridiques, de nouvelles situations d’apatridie : la France n’a pas ratifié cette convention, mais elle l’a quand même signée. Le principe de bonne foi interdit à un État d’adopter des mesures allant explicitement à l’encontre des objectifs d’un traité qu’il a signé. En toute logique, le Gouvernement devrait donc, en même temps qu’il propose la révision constitutionnelle, dénoncer ce traité. Or le Premier Ministre a annoncé vouloir ratifier ce texte…

  • la ratification signifierait donc qu’en pratique, la France ne pourra appliquer la déchéance de nationalité qu’aux personnes possédant une autre nationalité que la nationalité française : nous reviendrions donc en pratique à la formulation de départ proposée par le Gouvernement ;

  • en tout état de cause, quelle que soit l’option envisagée par le Gouvernement, la France a signé et ratifié la Convention de 1954 sur le statut des apatrides qui prévoit un certain nombre de droits et de garanties pour les personnes apatrides, notamment dans les cas d’expulsion.

Il est fort probable que la mesure prévue par le texte, même sans référence aux binationaux, ne concernera en pratique qu’eux. Il s’agit donc d’une forme de stigmatisation d’une certaine catégorie de Français pour la seule raison qu’ils bénéficient également d’une autre nationalité. Le message envoyé à une partie non-négligeable de la population française est qu’ils ne sont pas assez Français, qu’ils doivent toujours démontrer de manière explicite et affichée leur appartenance à la communauté puisqu’une présomption pèse contre eux : celle de ne pas être pour la France mais contre elle. La mise en place d’une suspicion permanente à leur encontre conduit à une division du peuple souverain au moment même où l’unité devrait être de mise. C’est justement parce que cette mesure est symbolique qu’elle est si grave : avant même d’être appliquée à qui que ce soit, elle envoie le message clair d’une séparation entre les Français au-dessus de tout soupçon, et les Français sur qui pèse le soupçon permanent de la trahison.

Sur la forme, une révision constitutionnelle est normalement envisagée pour renforcer certains éléments du pacte social, du vivre-ensemble. Ancrer un tel élément de division au sein même de ce texte fondateur n’est pas sans créer de questionnements : d’un côté, la démarche est défendue pour permettre d’encadrer strictement les conditions et la procédure de la mise en œuvre de la mesure ; or il semblerait qu’un certain nombre d’éléments non négligeables soient renvoyés à l’adoption d’une loi organique voire ordinaire. Ces textes seraient autant d’outils dans les mains de l’exécutif (actuel ou à venir) pour faire de la déchéance de nationalité une arme redoutable.

Contribution d’une militante Jeune Démocrate

(Tribune réalisée dans le cadre de La Relève Démocrate )

 

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